La quatrième

La quatrième

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La quatrième
© Rose P. Katell (tous droits réservés)
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Edward ouvrit un œil, tiré de son sommeil par un martèlement répétitif contre la porte de sa chambre. Groggy, il se redressa sur son matelas et attrapa sa paire de lunettes abandonnée sur la table de nuit. D’une voix pâteuse, il demanda ensuite :

— Que se passe-t-il ?

— L’inspecteur, répondit sa logeuse. Il est en bas et vous attend.

Il n’en fallut pas plus au jeune homme pour se réveiller entièrement ; il ne voyait qu’une explication à la présence de son supérieur si tôt un dimanche matin. Il rabattit ses couvertures et se leva d’un bond.

— J’arrive. Merci, Mrs Harrison.

Que s’est-il passé ? songea-t-il avec nervosité.

Il enfila pantalon, chemise et veste à la hâte et tenta de se rendre présentable. Puis il descendit les deux volées d’escaliers qui le séparaient du salon au pas de course.

— Monsieur, salua-t-il son chef.

— Allister. Navré de vous arracher de votre lit. Suivez-moi.

L’estomac noué, Edward obtempéra et quitta le confort de la pension. Le ton sérieux de son patron lui laissait présager le pire.

Y en a-t-il eu une quatrième ?

Il prit son courage à deux mains et posa la question qui lui brûlait les lèvres :

— Encore une ?

— Il semblerait. Le corps a été découvert un peu avant deux heures. Mais venez, un fiacre va nous emmener sur le lieu du crime. Là, nous aurons des réponses – du moins je l’espère.

La mauvaise humeur de l’inspecteur était palpable. Néanmoins, il ne l’en blâma pas. Lui-même commençait à croire qu’il leur serait impossible de mettre la main sur leur mystérieux assassin. Sans un mot, il entra dans la voiture.

Un soupir lui échappa ; il appréhendait la suite. Edward aurait souhaité avoir davantage d’explications, être en mesure de deviner quelles visions l’attendaient. Hélas, son vis-à-vis demeurait silencieux, l’air soucieux. Son mutisme accentuait ses angoisses. Qu’allait-il découvrir sur place ? Plus il s’interrogeait et plus l’image de la victime précédente lui revenait en mémoire. Il s’était pourtant échiné à en perdre le souvenir !

Mary était parvenue à me l’arracher de l’esprit, pensa-t-il en retrouvant un ersatz de sourire, qui disparut sitôt que le coupé s’arrêta. Il se morigéna. Il ne devait pas oublier la raison de leur voyage.

— Finissons-en, le pria le gradé.

Edward scruta leur environnement et s’étonna :

— Mitre Square ?

— Exact.

— L’endroit n’est pas soumis à notre autorité, insista-t-il.

— On nous a envoyé chercher. Le meurtre ressemble aux trois autres. Il est probable qu’il s’agisse de notre individu.

— Bien.

Pourquoi aurait-il changé de lieu ?

— Trêve de bavardage. C’est par ici.

Edward tâcha de dissimuler ses craintes et talonna son responsable. Chaque pas augmentait son anxiété. Il dépassa trois policiers sans leur accorder d’attention. Une infime part de lui aspirait à ne pas atteindre le but de leur progression. Toutefois, il était impératif qu’il se contrôle. Il était membre de Scotland Yard et il se montrerait à la hauteur de sa réputation.

Ils gagnèrent le périmètre où reposait la dépouille. Edward l’observa et retint avec difficulté un vomissement.

Reprends-toi, bon sang ! Tu n’es pas un bleu !

Il s’obligea à détourner le regard. Il aurait pu aller plus loin, se mettre à l’écart, mais il ne désirait pas faire preuve de faiblesse. Alors, quand il se sentit un peu mieux, il posa une nouvelle fois les yeux sur le cadavre.

Il s’agissait d’une femme, affreusement mutilée par son bourreau. Un frisson le parcourut. Qui commettrait une atrocité pareille ? Elle était allongée sur le dos, la nuque tournée vers la gauche et la gorge tranchée. Le sang y coagulait déjà. Ses deux lobes d’oreilles avaient été sectionnés. Le pire restait son abdomen : ouvert, une grande partie des intestins en avait été retirée et placée sur son épaule droite.

Edward envoya valser ses résolutions et s’éloigna. Une seconde de plus à contempler un tel spectacle et il vomissait tripes et boyaux.

— Pas joli, hein ? lança l’un des agents présents.

Probablement l’un des hommes de la City of London Police à les avoir appelés. Il ne prit pas la peine de rétorquer et préféra l’interroger :

— Avez-vous réussi à collecter quelques informations sur elle ?

— Il s’agirait d’une certaine Catherine. Elle effectuait des passes dans le quartier.

— Une prostituée, murmura-t-il.

Encore une. La quatrième.

— Oui. Nous espérons que l’autopsie nous donnera plus de précisions et nous permettra d’identifier le tueur.

Edward en doutait ; cependant, il se garda de prononcer la moindre remarque. Les autopsies réalisées sur les précédentes victimes n’avaient rien révélé sinon des détails macabres supplémentaires. Pourquoi celle-ci serait-elle différente ?

L’inspecteur prit la parole et le tira de ses réflexions :

— Je crois que c’est là l’œuvre de notre meurtrier. Qu’en dites-vous, Allister ?

— Proies similaires, nombreuses mutilations sur la chair. Cela correspond, oui.

— Bien.

— Mais…

— Un problème ? hasarda son chef.

— Le lieu, souffla Edward. Tous les crimes ont été commis en un unique endroit. Je ne comprends pas un tel changement, si soudain.

— Nul n’est en mesure de comprendre les agissements d’un psychopathe, mon ami.

Las, il soupira.

— Combien de belles-de-nuit mourront avant que l’on maîtrise ce cinglé ?

— Gardez espoir, Allister. Un homicide ne reste jamais impuni. Si nous ne jugeons pas l’assassin, le Ciel s’en chargera.

Il opina.

— Avons-nous d’autres tâches à accomplir ? demanda-t-il, nerveux à l’idée de retourner près de la morte.

— Non. La City of London Police nous remercie de notre aide quant à « l’identification » du meurtrier et nous déclare qu’elle prend le relais, répondit son patron.

L’amertume de sa voix ne passa pas inaperçue.

Il leur en veut de l’écarter.

La chose était en effet injuste, son supérieur s’investissait beaucoup dans l’affaire. Néanmoins, Edward demeurait confiant ; il pressentait qu’on ne tarderait pas à implorer leur appui. La City of London Police allait elle aussi connaître la rage de ne pas parvenir à dénicher le récidiviste.

— Que fait-on, Monsieur ? questionna-t-il.

— Nous rentrons chez nous. Un peu de sommeil nous sera bénéfique, ce n’est pas vous qui affirmerez le contraire.

Edward acquiesça et recula, laissant l’homme en tête à tête avec sa rancœur. Il présumait que le gradé avait besoin de calmer sa colère.

D’un pas lent, il se dirigea vers son domicile. Peu importait le nombre d’heures qu’il mettrait à rentrer à pied, il ressentait la nécessité de marcher, de prendre l’air. Malgré les paroles de son aîné, il soupçonnait qu’il ne dormirait pas, pas après ce qu’il avait vu. Il allait lui falloir un bon moment pour effacer le corps mutilé de sa mémoire ; un moment qui risquait de durer.

Edward sut que le soir même, il rejoindrait sa douce Mary Jane. Elle seule apaiserait les tourments de son âme. Peut-être que le temps d’une nuit, sa chaleur lui permettrait d’oublier les images morbides qui le hantaient depuis le début de l’enquête. Peut-être qu’entre ses draps, il chasserait ses sombres pensées…

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