Peine et Chagrin

Peine et Chagrin

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Peine et Chagrin
© Rose P. Katell (tous droits réservés)
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Peine observa Chagrin dans l’encadrement de leur ridicule pièce de vie familiale, et son cœur se serra. Dos à elle, rigide, son jumeau feignait de regarder par la fenêtre… en prétendant ne pas avoir remarqué sa présence silencieuse. Comme si c’était possible. Comme si ses pensées, qu’ils partageaient, ne l’en avaient pas averti.

Elle retint un soupir. En vingt ans, il n’y avait jamais eu de désaccord entre eux ; celui-ci, même s’il couvait et plus encore depuis un moment, était le premier. Le seul… Et sa simple existence lui procurait le sentiment qu’ils portaient bien leurs noms.

Peine et Chagrin. Deux patronymes parfaits, vu les prémices du déchirement qu’ils ressentaient tous les deux sans l’oser l’avouer à voix haute…

Ils avaient d’autres prénoms, autrefois – des vrais, des normaux. Avant que la malédiction jetée sur leur lignée ne les frappe, que les esprits n’aient plus de secrets pour eux, et que leur mère ne se découvre l’âme d’une poétesse torturée… Mais cette époque remontait si loin ! Peine ne se souvenait pas de leur sonorité.

— La nostalgie ne te va pas, lui déclara Chagrin, sans bouger d’un pouce.

Une parole, non une réflexion mentale – il lui en voulait, voire la punissait.

— Probablement pas, non.

— Tu ne reviendras pas sur ta décision ?

Elle ferma les yeux un instant. Il connaissait déjà la réponse : il la lisait en elle.

— Non… J’ai trop attendu.

La désapprobation de son frère plana soudain autant dans l’air ambiant qu’à l’intérieur de son crâne. Peine grimaça ; au moins, il se faisait violence pour ne pas songer à tout le mal qu’il souhaitait à son projet fou…

— Je n’ai plus qu’à te dire bonne chance, je suppose. Puisque tu es sur le départ.

— Ne prononce pas des mots s’ils n’ont pas de poids pour toi.

Chagrin ne répliqua pas. Les lèvres tremblantes, consciente qu’il ne lui offrirait aucun geste d’au revoir, elle inspira. Puis, uniquement confiante du poids de son sac à dos, Peine se retourna, prête à quitter leur domicile étriqué et éloigné pour une durée indéterminée.

… Tu as oublié d’emporter Orson. Tu l’as laissé dans ma chambre.

Aussitôt, elle sourit tout en retenant un sanglot. La peluche, son plus vieil ami d’enfance, lui avait été dérobée par lui-même quand ses desseins étaient passés de l’étape « idée » à l’étape « préparatifs concrets » ! Une tentative presque réussie pour l’empêcher de partir. Les dents de Peine mordillèrent sa lèvre inférieure. Oh… Seule sa détermination lui avait permis de ne pas flancher !

L’émotion la prenait à la gorge. Chagrin avait déployé tant d’efforts afin de contrôler sa conscience, de ne pas se trahir et lui « montrer » l’endroit où il l’avait dissimulée… Qu’il le lui révèle était une preuve d’amour ; la marque ineffable de leur lien, toujours là malgré leur flagrante divergence d’opinions vis-à-vis de sa quête !

Et peut-être fut-ce la raison pour laquelle elle n’allait pas récupérer Orson… Elle préféra le lui prêter, telle une promesse.

Elle reviendrait. Peine regagnerait les siens lorsqu’elle aurait repéré et utilisé la pierre de Silence.

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Son sac à dos alourdi par les archives familiales – qu’elle venait de récupérer après des journées et des journées de recherches dans leur village natal, à traquer la moindre information sur sa lignée –, Peine s’éloigna des habitations à pas rapides malgré l’effort demandé.

S’échapper de là… Elle devait s’échapper de là… Mettre le plus de mètres entre elle et les – trop nombreux – résidents des lieux ! Leurs pensées s’entremêlaient en elle ; elles formaient une cacophonie… assourdissante. Incapable de les repousser, obligée même de les accueillir parmi les siennes, Peine n’y distinguait désormais plus qu’un bruit, bien trop puissant, où nul mot n’était perceptible. Où il n’y avait de sens réel à rien ! Les larmes menaçaient de franchir la barrière de ses paupières depuis un moment… Elle avait de plus en plus envie de se fracasser le front contre le plus gros roc du chemin.

Par leur héritage maudit ! Elle jugeait déjà son minuscule hameau – où leurs parents s’étaient exilés quand Chagrin et elle avaient été renommés – tapageur… Peine n’osait imaginer ce qu’elle ressentirait et éprouverait au cœur d’une ville ou d’une cité ! Si sa quête de la pierre l’y menait… Non. Elle refusait d’y songer. Pas tant que ce ne serait pas nécessaire.

Enfin, son tumulte intérieur s’apaisa ; elle réentendit sa propre voix… et celle de Chagrin – à laquelle elle restait connectée peu importe la distance.

Tu te fais du mal, déplora-t-il.

C’est vrai. J’y étais préparée, ne t’inquiète pas. Et je suis déterminée !

… Pour une potentielle chimère ?

Peine devina l’hésitation de son jumeau. Son appréhension à l’idée de la froisser et de creuser le gouffre qui se formait entre eux.

J’ai besoin d’y croire… Regarde, j’ai les journaux de nos ancêtres, ceux où notre père jure que la pierre de Silence est mentionnée ! Comprends-moi, je t’en prie… C’est ma chance d’être à nouveau normale. Cela pourrait être la tienne aussi… si tu le désirais.

Jamais, trancha Chagrin avec une pointe de dégoût impossible à masquer. Je… Notre malédiction n’en est pas une : nous ne sommes pas condamnés, mais pourvus d’un don. Il nous permet de lire dans l’âme des gens, et nous jaugeons sans peine leur honnêteté ! Il nous montre ce qu’est réellement l’humanité, Peine ! Il nous offre du pouvoir.

Un frisson secoua son corps. Elle détestait lorsqu’il raisonnait ainsi ; en grande partie parce qu’il était sincère… et qu’elle n’était pas en mesure de l’ignorer.

Nous ne sommes pas d’accord là-dessus, se désola-t-elle.

Il insista pourtant.

Ton caillou, s’il existe, ne t’apporta pas la paix… Nous sommes qui nous sommes.

Les poings de Peine se serrèrent le long de ses cuisses. La tristesse de Chagrin était réelle. Hélas, elle avait déjà et déjà entendu ce discours – elle le réfutait chaque fois un peu plus.

Je ne supporte plus d’être au mieux considérée comme une bête de foire ! argua-t-elle avec vivacité. Je… je souffre quand on remarque que quelque chose ne va pas chez moi, que j’en sais trop. Je veux être davantage que mon nom, Chagrin. Davantage qu’un…

Elle s’interrompit. En vain.

… Qu’un monstre ? compléta-t-il, plus âcre.

Je ne parle pas de toi !

Un silence, lourd. Puis…

Seulement de toi, oui. Semblable à moi en tout point.

… Presque en tout point.

Presque.

Peine pinça ses lèvres, désolée.

Tu ne me reprocheras pas d’avoir voulu te prévenir.

Chagrin se retira sans un mot de plus, la laissant coupable avec ses rêves sur la légende familiale – celle censée briser leur infortune… Prise dans le tourbillon de ses émotions et de ses attentes, elle nota à peine que les voix des résidents du village quitté s’étaient tues. Qu’elle s’était assez éloignée.

Malgré leur dispute, Chagrin n’était pas « parti » avant leur disparition.

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Les mots défilaient sous les yeux fatigués de Peine. Oh… Depuis combien de temps lisait-elle les différents carnets des membres – anciens, tous décédés – de sa famille ? Pas moyen de le déterminer ! Installée sur une souche d’arbre asséchée au beau milieu de nulle part, le fessier et les genoux endoloris par son immobilisme, elle grignotait des baies aperçues en chemin en tournant et tournant les pages… Trouver de premiers indices sur la pierre lui avait fait perdre son sens de la modération. Il lui en fallait plus ; plus de détails, plus de concret !

Une piste… Elle avait une piste ! Peine était pratiquement certaine de la direction à prendre, de sa prochaine étape.

Un soupir aussi proche du sourire que du souffle lui échappa. Les mentions de la pierre de Silence étaient si rares et évanescentes, dans les archives ! L’adrénaline la gagnait sitôt qu’elle y dénichait la plus petite allusion… Sa lignée avait-elle eu peur d’y accorder du crédit, à l’époque du mauvais sort et après ? L’idée, plausible, la dépassait ! Comment était-il possible de s’inquiéter à la perspective d’enfanter des jumeaux – les victimes du fameux sort –, mais de ne pas oser espérer qu’un remède existe ?

Pire : entre les lignes, la plupart de ses ancêtres paraissaient appréhender celui-ci, comme s’il s’agissait d’un piège ou d’une menace plus terrible que leur condamnation à entendre les réflexions les plus intimes d’autrui…

Peine ne l’expliquait pas. L’unique page où l’effet de l’artéfact était décrit, il était noté ceci : son pouvoir, en rencontrant l’esprit d’une personne, était de lui apporter un calme absolu… Elle annihilait les pensées parasites. Or, c’était exactement le bienfait qu’elle recherchait ! Ses dents mordillèrent l’intérieur de sa joue. La perspective d’être normale, de redevenir celle qu’elle avait été durant sa tendre enfance lui était si douce… Par quelle diablerie les jumeaux qui les avaient précédés, Chagrin et elle, n’avaient-ils pas même essayé de saisir cette chance ?

Sans doute avaient-ils perçu, eux aussi, la valeur de ce qui leur a été accordé, intervient Chagrin.

… Tu es aveuglé, se plaignit-elle, malgré elle agacée d’être interrompue dans sa lecture.

Un rire jaune résonna aussitôt au sein de sa tête.

Je pourrais en dire autant de toi. Tu désires tellement être normale… Ne plus entendre la conscience des autres ne les empêchera pas de les avoir, tu t’en rends compte ? Tu deviendras ignorante, c’est tout : tu n’auras aucun moyen de savoir si l’individu en face de toi est sincère ou non. C’est ce que tu souhaites ?

Cet individu ne me craindra pas…

L’exclamation de son frère, juron soudain et désabusé, lui fit l’effet d’un coup de poignard en plein cœur.

S’ils nous craignent, Peine, c’est parce qu’ils tremblent à l’idée de ce qu’on serait en mesure de déceler en eux. Ils ont surtout peur d’eux, avant tout. Nous ne sommes qu’un dérivatif.

… Tu aimes cela, réalisa-t-elle.

Ou plutôt, elle se l’avouait ; pour la première fois, elle osait l’accuser.

J’ai appris, reconnut Chagrin, adouci. Mon monde s’arrête à toi et moi, je m’en satisfais. Alors si les étrangers à ce monde souhaitent voir un monstre en moi… Ainsi soit-il.

Dans ses mots, Peine entendit ce qu’il lui cacha : sa rancœur, contre elle. Parce que son propre monde aspirait à être plus qu’eux deux. Parce qu’il ne lui suffisait pas. Plus.

Je ne t’abandonne pas…, déclara-t-elle en refermant la couverture du journal. Jamais. J’emprunte juste une voie tierce. Tu resteras mon frère…

Mais nous comprendrons-nous toujours, si tu parviens à localiser ton satané caillou ?

Un hoquet lui échappa devant cette angoisse révélée.

Bien sûr ! Nous sommes jumeaux : rien ne surpassera ce lien.

Je suis quand même persuadé qu’il s’agit d’une erreur.

Je…

Ressembler à tout un chacun te dénaturera ! craqua Chagrin. Tu es parfaite telle que tu es.

Pas à mes yeux.

Il doit y avoir une meilleure solution !

Peine soupira.

Chagrin, arrête…

Une seconde. Deux…

Non ! La malédiction n’est pas sur nous !

Ses sourcils se froncèrent. Que lui racontait-il ? Elle en souffrait depuis qu’elle était apparue !

Elle a été jetée sur notre famille. Pour que les parents soient punis, pour que leurs enfants sachent qu’ils mentent et ne sont pas des modèles… Il s’agit du fardeau de nos proches, pas du nôtre.

Ce n’est peut-être pas le tien, non. Tu as choisi d’y croire.

Je t’en prie, l’implora Chagrin. Renonce !

… Je pense avoir découvert où est la pierre de Silence.

La douleur de son frère la percuta tout entière.

Tu le regretteras, prophétisa-t-il.

Nous verrons.

Blessée – tant pour elle que pour lui – face à leur différend, Peine refusa de poursuivre le dialogue plus loin… Replongeant au cœur de son texte, elle en imprégna bientôt chaque recoin de son esprit et ferma le sujet.

Puis elle se retrancha au fond du sien.

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La vue de Peine s’embua… Elle cilla afin de chasser les larmes naissantes.

Elle l’avait trouvé.

Enfin…

Le jardin abandonné censé abriter la pierre de Silence ! Et qui aurait appartenu à la femme-créature découverte dans les archives familiales, à l’origine de la malédiction de sa lignée !

Elle ne s’était pas trompée… Avait correctement interprété les métaphores présentes dans les carnets – ces phrases nébuleuses à l’origine d’un mal de crâne identique à celui de son passage obligé au cœur d’un village.

Émue, Peine resta un instant à l’entrée du lieu.

Renonce, la pria Chagrin d’un timbre malheureux.

Elle n’en fit rien. Au contraire, elle effectua un premier pas.

Tu as tort, et je vais te le prouver, mon frère. Je serai toujours moi – encore plus moi – lorsque je me serai libérée du fardeau que nous portons.

Elle perçut sa désapprobation au travers de leur lien mental, mais il eut le bon sens de se taire. Sa décision était sans faille.

Fébrile, tremblante – le bonheur et la normalité étaient là, tout proches, ils lui tendaient les bras ! –, Peine déambula alors dans les allées oubliées, à la recherche d’un élément particulier…

Une fleur qui se fermait à l’apparition du soleil et se déployait à son coucher, au rythme inversé par rapport à ses congénères. Les mémoires des siens n’en disaient pas plus ; aucune précision sur son type ou sa taille. Seulement qu’elle abritait la pierre…

Un début de grimace déforma ses traits. Malgré leur abandon ou l’absence manifeste d’entretien – les lieux avaient-ils la réputation d’être hantés ? La lanceuse de sorts avait-elle eu une notoriété digne de les rendre inviolables à travers le temps ? –, les nombreux parterres étaient florissants. Presque un pied de nez adressé à ses projets ! Pas de quoi la décourager, toutefois. Il était tôt et elle avait de longues heures pour dénicher le précieux végétal. Le trésor en son cœur ne lui apparaîtrait de toute façon pas avant que ses corolles ne s’en détachent…

Le pouls de Peine s’apaisa ; même les brides des pensées des premières habitations, là-bas au loin, ne brisait pas la sérénité en train de la gagner à l’idée d’être libre.

La tristesse sourde et coléreuse de Chagrin n’y parvint pas davantage.

Tu verras, lui déclara-t-elle, tout ira pour le mieux.

… S’il te plaît d’y croire.

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Ses doigts s’entremêlaient entre eux ; Peine sentait l’excitation l’envahir à mesure que le soleil achevait sa course vers l’horizon ! Si ses consœurs se refermaient au fil des minutes, la fleur qu’elle avait cherchée des heures durant ne montrait pas de signes d’ouverture… Probablement parce qu’il fallait que l’astre d’or ait terminé de disparaître – du moins, elle espérait !

Ne reste pas là.

La voix de Chagrin, une fois de plus.

Je rentre bientôt, promit-elle.

Tu es parfaite ainsi ! Nous sommes très bien ainsi.

Accepte mon choix, comme j’accepte le tien à défaut de le comprendre.

… Jamais !

Les dents de Peine se serrèrent, au diapason de son cœur.

Alors j’évoluerai vite dans l’incertitude vis-à-vis du poids de ta rancœur. J’espère déceler un jour en toi des signes de pardon. Je… Chagrin, je dois le faire.

Non ! Et tu peux échouer, ne l’oublies pas : la pierre est peut-être un mythe ou son pouvoir inexistant, cracha son frère.

Sa langue claqua contre son palais et chassa sa tristesse envahissante.

Tu me le souhaites, n’est-ce pas ? Tais-toi et observe : nous allons découvrir la vérité.

Contrairement à ses attentes, Chagrin obtempéra ; seul le fond de son humeur trouble demeura dans un coin de sa tête – un jugement indirect, mais indéniable.

Au bout d’interminables minutes, les pétales de la fameuse fleur s’écartèrent… Pile au moment où le dernier rayon de soleil s’évanouit ! Sous l’éclairage blafard de la Lune enfin reine, Peine assista à l’éclosion tant espérée. Seconde après seconde… Et lorsqu’un éclat bleuté lui apparut, une joie sincère l’anima tout entière.

Non, se désola Chagrin.

La pierre de Silence. Elle était là, au cœur du végétal ! Elle se dévoilait à elle.

Ne te laisse pas tenter…¸ la supplia son jumeau.

Je suis navrée. Je refuse de continuer à vivre de la sorte.

Fébrile, tremblant presque, la main de Peine s’approcha du minerai et s’en saisit avec délicatesse, la cueillant. Elle l’amena ensuite devant son visage avant de la presser légèrement, pour en éprouver la matière – une part d’elle, incrédule, doutait encore. Une douce pulsation, un genre de chaleur s’en échappait… Elle la sentait sur sa paume ; son contact était apaisant. Il ressemblait à un appel.

À une promesse.

Plaçant sa confiance dans les pages de ses précieux journaux, Peine la porta à hauteur de son front.

Non ! hurla Chagrin.

En vain : la gemme entra en contact avec sa peau.

D’abord, elle ne perçut rien – rien sinon ladite pulsation – et elle pria pour qu’il y ait plus, beaucoup plus. Puis elle remarqua ne plus distinguer, là, tout au fond de son esprit, les brumes des rêves des résidents des chaumières les plus proches. Ces échos si discrets auxquels elle avait oublié de prêter attention.

Peine… Peine !

Le timbre de son frère, lui, avait déjà l’air moins… réel. Il s’amenuisait.

Arrête ! S’il te plaît…

Cela marche, Chagrin !

Retire cette monstruosité !

Leur connexion diminuait rapidement ; un instant de panique, par chance passager, la gagna quand elle devina qu’elle était sur le point de se briser.

À bientôt…

Non !

Chagrin se tut sur ce cri. Un frisson la parcourut, mais Peine s’échina à l’ignorer – c’était ce qu’elle avait voulu, du moins de manière indirecte. Oh… Mieux valait penser à la normalité qu’elle recouvrait, qui n’attendait plus qu’elle !

J’arrive, mon frère, songea-t-elle avec l’espoir que lui l’entende toujours. Tu ne m’as pas perdue, loin de là.

Ses lèvres s’étirèrent. Au cas où son incroyable pouvoir s’annulerait, elle conserva la pierre sur son front de longues secondes encore, jusqu’à ce que son bras en tremble ! Elle se galvanisait de la sérénité qui l’envahissait. S’en enivrait…

Tout à son bonheur, il fallut qu’elle repose l’artéfact et s’éloigne du jardin pour constater qu’il ne s’agissait pas d’une simple ivresse. Qu’il y avait davantage.

Un potentiel problème…

Peine avait en effet l’impression de progresser à l’aveugle ; chaque pas lui apparaissait plus étrange que le précédent. Si elle allait pourtant dans la bonne direction, son corps ne le comprenait pas, pas vraiment… Comme si une connexion ne se faisait pas.

Peu à peu, l’anxiété l’enveloppa de son sombre manteau – une émotion sur laquelle elle ne parvint néanmoins pas à mettre un mot dessus ! Et pour cause : nul ne passait plus dans son esprit…

Celui-ci était vide.

Silencieux.

Alors, Peine réalisa.

Elle ne s’était pas seulement débarrassée de la voix des autres. Elle n’avait pas seulement renoncé à celle de Chagrin… Dans sa quête, elle avait aussi éliminé la sienne.

Bruyante depuis tant d’années, sa tête n’était plus qu’un affreux trou noir.

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