La Pierre d’Azur

La Pierre d’Azur

Extrait gratuit : chapitre 1, 2 et 3

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La Pierre d’Azur
© Rose P. Katell (tous droits réservés)
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Illustrations : © Angelscythe


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1

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Assise sur son lit, la petite Mey pleurait. Elle avait maintenant huit ans. Cela faisait six années que ses géniteurs l’avaient amenée dans cet orphelinat – parce qu’ils ne voulaient plus d’elle de son avis – et six années qu’elle voyait des parents potentiels défiler devant elle. Parfois, ils lui souriaient ou lui parlaient gentiment, mais jamais, au grand jamais, ils ne l’adoptaient.

Pourtant, elle n’était pas si différente des autres enfants. Elle se trouvait même plutôt jolie. Elle avait de longs cheveux noirs, que son amie Rosie avait, comme à son habitude, soigneusement tressés. De beaux et grands yeux bleus limpides, qui pétillaient de malice et s’éclaircissaient avec la lumière du soleil. Et deux pommettes bien roses, que la femme de ménage adorait pincer.

Cependant, elle savait très bien que les nombreux refus d’adoptions qu’elle avait endurés tout au long de ces six années n’avaient rien à voir avec son physique. Elle avait eu le temps de le comprendre. Du moins le croyait-elle.

En effet, depuis son plus jeune âge, elle discutait avec ce que les adultes et psychologues appellent un ami imaginaire. Bien que le personnel du bâtiment trouvait cela « trop chou », les futurs parents, quant à eux, qualifiaient plutôt cela de « trouble mental ». Elle le savait : elle avait entendu un couple le dire aujourd’hui même.

Le directeur de l’orphelinat, M. Durant, s’était dit que cette lubie lui passerait en vieillissant. Cependant, la petite fille avait grandi, sans que son « ami » ne disparaisse. Elle avait toujours assuré entendre une voix féminine l’appeler.

Évidemment, personne ne voulait d’une fillette de huit ans qui parle toute seule ! On ne laissait plus le temps aux enfants d’être des enfants. Dès qu’ils quittaient la maternelle, les adultes attendaient d’eux qu’ils mûrissent vite et bien. Et Mey ne faisait pas exception.

La petite était habituée aux refus des futurs parents et aux « grandis un peu ! » du directeur. Cependant, le rejet de ce matin avait été plus dur à supporter. Les adoptants étaient arrivés et avaient dit « avoir eu un coup de cœur pour cette charmante petite frimousse ». Mey avait ensuite été convoquée dans le bureau de M. Durant, pour les rencontrer. Tout se passait pour le mieux. Elle aimait bien ce couple et celui-ci semblait prêt à l’accueillir dans leur famille.

Mais soudainement, la petite fille avait ouï une nouvelle fois la voix et avait eu un sursaut.

— Qu’y a-t-il ? avait demandé la potentielle adoptante, surprise par ce geste brusque.

Elle n’avait pas répondu, trop concentrée. Cela n’avait duré que quelques secondes, mais ce qu’elle avait entendu la perturbait. La voix avait hurlé « au secours ! » dans un cri de désespoir. Elle avait crié avec une telle intensité que l’enfant avait pressenti le danger et ressenti sa peur ! Elle en tremblait encore intérieurement.

— Mey ! avait grondé le directeur, la tirant de sa torpeur.

— Quoi ?

— On dit « s’il vous plaît ? » ! la réprimanda-t-il.

« Il me déteste ! », se souvint-elle avoir pensé. L’adoptante potentielle était alors intervenue.

— Ce n’est rien, avait-elle assuré d’un calme apparent. Mey, pourquoi as-tu sursauté ?

— Parce que la voix a crié « au secours » dans ma tête et j’ai eu peur et que… avait-elle tenté d’expliquer.

— Mey ! s’était emporté M. Durant. Je croyais avoir été clair au sujet de cette voix ! Elle n’existe pas !

Le couple avait commencé à s’interroger sur la santé mentale de l’enfant, s’inquiétant autant de la colère du directeur que de son comportement à elle. Devant attendre dehors, elle n’avait pu s’empêcher d’écouter aux portes. Elle n’avait retenu que quelques mots de cet entretien : « Nous ne pouvons l’adopter » et « Nous ne voulons pas d’un enfant instable ».

Les larmes aux yeux, elle était ensuite partie sans attendre qu’on la rappelle, déçue et se demandant ce que voulait dire « instable ». Elle s’était dirigée vers sa chambre et avait croisé Martha, la femme d’ouvrage – qui s’était empressée de lui pincer les pommettes. Elle l’avait questionnée sur ce qu’était un enfant instable et, lorsque Martha avait eu fini de lui expliquer, elle était partie en courant, les larmes coulant abondamment sur ses joues.

Depuis, elle était là, sur son lit, à sangloter en se demandant si quelqu’un voudrait un jour d’elle.

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2

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L’enchanteresse rousse évoluait dans les ruelles. Elle aurait aimé pouvoir invoquer son balai, mais savait que c’était impossible. En pleine rue, trop de gens l’auraient vue faire. Tant pis ! Elle se contenterait de marcher pour une fois.

Il fallait qu’elle la trouve, elle avait besoin de son énergie. Elle était la Pierre d’Azur ! La jeune femme était convaincue qu’elle n’arriverait à rien sans son aide.

Elle avait bien tenté de la contacter – et ce depuis plusieurs années –, mais à chaque fois qu’elle essayait, la sauveuse ne lui donnait aucune réponse. Au début, elle ressentait sa présence lorsqu’elle l’appelait puis, peu à peu, une barrière s’était comme installée. Elle s’était souvent demandé si la Pierre d’Azur avait pris peur, ou bien si elle l’ignorait tout simplement. Elle espérait que ce ne soit pas la deuxième solution.

« On ne méprise pas une enchanteresse de mon niveau ! », songea-t-elle avec une pointe d’amertume.

La jeune femme approchait de son but, elle la sentait de plus en plus. Son énergie était proche, toute proche. Mais, elle était faible… Serait-il possible que la sauveuse soit malade ? Était-ce pour cela qu’elle ne répondait pas à ses appels télépathiques ? Et si c’était bien cas, comment allait-elle pouvoir l’aider ?

« Avec un peu de chance, je pourrais la soigner grâce à mes pouvoirs », espéra l’enchanteresse. Elle-même était très affaiblie et ses facultés magiques n’étaient plus aussi performantes que dans le temps. « Et dire que j’étais l’une des plus puissantes… Je suis tombée bien bas », se désola-t-elle.

Elle n’était plus qu’à quelques pas. Encore une ruelle et elle y serait, elle le sentait au plus profond d’elle-même. Tournant au coin de l’allée, impatiente, elle se retrouva face à… une maison abandonnée ?

« C’est impossible… Ça ne peut être ici ! Me serais-je donc trompée ? Pourtant, je perçois son énergie ! »

Dans sa tête, les questions se bousculaient. La Pierre d’Azur était-elle à l’intérieur ? Elle n’avait qu’un seul moyen de le découvrir…

Prudemment, elle grimpa les quelques marches du perron et voulut ouvrir la porte d’entrée. Elle était coincée ! La femme tenta bien de la forcer, mais hélas, elle n’avait pas assez de force. Jetant un rapide coup d’œil aux fenêtres, elle constata – non sans laisser échapper un juron – qu’elles étaient condamnées. Elle regarda alors discrètement autour d’elle et, ne voyant personne dans les alentours, lança un sort sur la porte, qui s’entrebâilla instantanément. La magie avait de nombreux avantages…

Elle pénétra dans la vieille demeure et la parcourut, fouillant de fond en comble. À part quelques araignées et cafards, la maison était déserte…

C’est là qu’elle comprit : La sauveuse n’était pas malade ! Si son énergie était faible dans ce lieu, ce n’était que parce qu’elle s’y atténuait. Elle avait dû y habiter et déménager. Depuis tout ce temps, elle cherchait sur une fausse piste ! « Comment ai-je pu commettre une faute pareille ? », se questionna-t-elle, en se maudissant par la même occasion.

Soudain, elle sentit une tout autre énergie approcher… Une aura maléfique !

« Oh non ! »

Elle s’empressa de quitter la demeure, inquiète. Déjà, le plafond se craquelait au-dessus de sa tête. Avec affolement, elle sentit le sol trembler sous ses pieds ! Paniquée, elle se mit à courir de plus en plus vite. Il fallait qu’elle sorte ! Elle n’en eut malheureusement pas le temps : la maison s’effondra sur elle…

La jeune femme ne put que se transformer et lancer un appel à l’aide à la Pierre d’Azur, avant de sombrer dans l’inconscience.

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3

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L’infâme Maldoror, l’enchanteur noir, était dans son manoir. Il tournait en rond comme un lion en cage, faisant les cent pas.

« Ainsi, la légende disait vrai », songea-t-il. La sauveuse existait bel et bien ! Les textes n’avaient pas menti…

De rage, il envoya son poing dans le mur et cria, moins de douleur que de colère. Il n’avait pas passé dix années de sa vie à affaiblir Brigide en lui prenant son pouvoir pour se faire vaincre par cette maudite Pierre d’Azur ! Il venait à peine d’accéder au trône de Gödelm, le royaume des enchanteurs. Il ne pouvait tolérer cela !

— Cédric ! hurla-t-il.

— Oui, Maître ? fit un homme mince aux cheveux noirs, en apparaissant dans la pièce.

— Apporte-moi la prophétie, ordonna-t-il.

Sa voix était doucereuse et ne le rendait que plus menaçant.

— Bien, Maître, s’inclina le plus jeune.

Il partit et revint quelques minutes plus tard, une feuille à la main.

— Voici, Maître, s’inclina-t-il derechef, tentant de dissimuler ses tremblements.

Maldoror lui prit la feuille et le congédia d’un geste dédaigneux. Il tint le papier plus fermement et le relut pour la centième fois au moins.

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Quand la Pierre d’Azur apparaîtra,

Une nouvelle ère commencera.

Elle ne prendra pas peur,

Face au tyran de malheur.

Et son règne débutera,

Quand elle le détrônera.

Le royaume alors sortira de sa torpeur,

Pour l’acclamer en chœur.

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Il fallait qu’il élimine cette maudite Pierre avant que la prophétie ne se réalise ! Si Brigide la trouvait avant lui, elle n’hésiterait pas à se servir d’elle pour le déchoir. Il savait qu’elle ne rêvait que de récupérer le trône. Mais, il était également certain qu’une fois débarrassée de sa personne, elle tuerait l’élue des textes. Elle connaissait la prédiction sûrement aussi bien que lui et il était convaincu qu’elle ne pourrait tolérer qu’on lui « vole » son trône.

« Pas une fois de plus », songea-t-il narquoisement. Les anciens avaient beau dire, elle ne l’accepterait pas.

Il pouvait vaincre cette Pierre d’Azur, il le savait. Il était puissant et avait, en plus, les extraordinaires pouvoirs de Brigide. Une fois qu’il l’aurait tuée, il n’aurait plus qu’à éliminer une bonne fois pour toutes cette maudite enchanteresse ! Il aurait déjà dû le faire il y a fort longtemps… Cependant, aujourd’hui, elle allait lui être utile. Elle dénicherait celle dont parlaient les anciens dans leur prophétie de malheur pour lui.

En y songeant, Maldoror ne put retenir un petit rire et s’attira le regard intrigué d’une jeune de ses servantes.

— Tu te demandes sans doute pourquoi je ris, lui dit-il, usant de sa voix la plus doucereuse.

— Oh non, Maître, s’empressa-t-elle de répondre, terrifiée.

Ce n’était jamais bon signe quand l’enchanteur adressait la parole à de simples serviteurs.

— Tu ne veux donc pas le savoir ? fit-il, feignant la tristesse.

Ne voulant pas s’attirer ses foudres, la jeune femme répliqua ce qu’elle trouva être le plus judicieux :

— Si votre désir est de me le dire, je vous écouterais avec joie, mon Maître.

— Brave petite, lui sourit-il. Vois-tu, je ris car j’ai une longueur d’avance sur ma rivale – tu sais bien, ton ancienne souveraine ?

— Nul ne doute de votre réussite, le flatta-t-elle, essayant de paraître enthousiaste.

— Cesse donc de parler et écoute-moi !

Elle hocha la tête, apeurée. L’aura de son maître était plus sombre que jamais.

— Ce que Brigide ignore, poursuivit-il, c’est que depuis que je l’ai dépossédée d’une partie de ses pouvoirs, je suis en quelque sorte relié à elle. Je peux capter la plupart de ses émotions… tant qu’elle utilise sa magie.

Sous le coup de la surprise, la servante écarquilla les yeux. Que voulait-il dire par là ?

— Pour l’instant, je la sens qui cherche. Elle pense avoir une piste, mais… son espoir est faible. Si jamais elle trouve la Pierre, je le saurais immédiatement. N’est-ce pas une formidable nouvelle ?

— Assurément, Maître.

L’enchanteur s’approcha d’elle et, une fois qu’il fut à sa hauteur, il lui susurra :

— Je suppose que tu comprends que je ne peux pas prendre le risque de te voir divulguer cette petite information à mes autres serviteurs.

— Je ne dirais rien, jura-t-elle, paniquée.

— Le problème, vois-tu, c’est que je n’ai aucune confiance en vous, tous autant que vous êtes…

D’un simple mouvement de la main, il la souleva du sol. La fixant sournoisement, il referma progressivement ses doigts et la servante commença à étouffer, agitant nerveusement ses jambes dans le vide. Ne desserrant pas sa poigne, Maldoror la regarda mourir lentement, son sourire ne quittant pas un seul instant ses lèvres. Quand il ne sentit plus la vie en elle, il la laissa choir sur le carrelage et retourna s’asseoir, satisfait.

Puis, d’un coup, il se redressa ! Brigide était soudainement submergée par une immense vague d’espoir. L’aurait-elle trouvée ? Il ne devait pas la laisser faire !

— Cédric ! hurla-t-il derechef.

— Oui, Maî… fit son sbire une fois arrivé, essoufflé d’avoir couru.

— Mon balai. Et vite ! le coupa Maldoror.

— Bien, Maître, balbutia-t-il.

Ce disant, il s’inclina une nouvelle fois, ne pouvant s’empêcher de regarder le cadavre de la pauvre servante.

— J’ai dit vite ! tempêta l’Infâme.

Le jeune homme sortit en trombe, maudissant cet être abject. Il ne supportait plus devoir lui obéir au doigt et à l’œil. L’appeler « Maître » sur un ton de respect le répugnait. Mais il n’était pas assez fou pour se retourner contre lui. Il tenait à sa vie ! Secrètement, il souhaitait que la prophétie s’accomplisse…

Il revint bientôt, le balai de son maître à la main, et s’inclina une fois de plus devant le sombre enchanteur. Ce dernier lui arracha l’objet et ouvrit la fenêtre, avant de se rendre sur le balcon. Là, il enfourcha son moyen de transport et décolla.

Volant à toute allure, il espéra arriver à temps. Il captait l’énergie quelque peu envoûtante de sa rivale dans une vieille maison abandonnée. Avec un peu de chance, il pourrait faire d’une pierre deux coups et éliminer non seulement la sauveuse, mais également la rousse. Il fallait toutefois qu’il se concentre, capter l’aura de Brigide lui prenait de l’énergie. Il ne pouvait se permettre de perdre sa trace. Pas maintenant…

Maldoror repéra enfin ladite maison. S’autorisant un sourire, il se concentra et la fit s’écrouler d’un sort. Rapidement, il ne capta plus aucune émotion chez sa rivale. Il avait réussi son coup ! Heureux d’avoir commis une infamie de plus, il s’en alla, rentrant à son manoir.

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