Melvyn

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Melvyn
© Rose P. Katell (tous droits réservés)
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Aaaah, Noël… Ma fête préférée !

Cette période si propice aux rêves et à la féerie ; cette saison dédiée à l’espérance et à la magie. Et surtout, la tournée du père Noël pendant cette fameuse nuit…

Qui parmi vous n’a jamais tendu l’oreille afin d’écouter les grelots résonner ? Qui n’a jamais lutté pour rester éveillé mais, au final, a laissé le carillon le bercer ? Très peu, je suis prêt à le parier : moi aussi, je l’ai parfois tenté. 

Vous avez déjà entendu parler de la célèbre résidence au Pôle Nord ; probablement plus encore du bel atelier où sont fabriqués tous ces jouets multicolores… Entre les doigts habiles de milliers d’elfes, chaque année, les cadeaux se changent en trésors ! Avez-vous également entendu parler de Melvyn, cet elfe si particulier ? Si ce nom ne vous dit rien, c’est sans doute parce que ce n’est pas de la sorte que vous l’appelez : à travers le monde entier, on le surnomme elfe en chef depuis le siècle dernier.

Melvyn ne confectionne pas les présents, lui veille à ce que tout soit prêt le jour J ; de bonne humeur, il aide volontiers ses camarades à affronter leurs soucis ! Les jouets n’ont aucun secret pour lui… Tous seront fabriqués avant la grande nuit.

Savez-vous pourtant que le Pôle Nord n’a pas toujours ainsi fonctionné ? Car croyez-le ou non, le poste d’elfe en chef n’a d’abord pas existé, et c’est l’histoire de sa création que j’aimerais ici vous conter.

Voyons par où commencer…

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C’était un avant-midi froid, mais ensoleillé ; le vent vous gelait le bout du nez et vos chaussures s’enfonçaient dans la neige au moindre pas. Par moments, quelques flocons descendaient sur terre dans une danse tourbillonnante.

Une matinée banale au pôle Nord, songea Melvyn alors qu’il sortait de sa maisonnette.

 Comme les autres elfes, Melvyn vivait à proximité de l’atelier du père Noël. Il arrivait pile à l’heure pour fabriquer les jouets. Enfin… Pour essayer de les fabriquer, plutôt. Sa gaucherie était légendaire !

Melvyn fit la moue. Combien de fois n’avait-il pas cassé un vélo ou déchiré la robe d’une poupée ? Il était le pire assistant du monde… Cependant, il était un elfe et sa place se trouvait donc à l’atelier, quand bien même il s’y rendait avec une boule d’angoisse au fond du ventre.

La porte du fameux atelier s’ouvrit sans que Melvyn ait à la toucher – elle le reconnaissait, un des nombreux avantages de la magie. Il consulta la liste des fabrications, puis grimaça. Des robots. Oh ! Toutes ces petites pièces à assembler lui donnaient déjà le tournis. Il était persuadé qu’il finirait par les intervertir malgré lui au montage, commettant une nouvelle bêtise.

Après une profonde inspiration, Melvyn rejoignit son plan de travail. Fëus, un bon ami, avait pris soin de trier et d’étaler les éléments d’un premier robot pour lui.

— Merci du coup de main, murmura-t-il.

— J’ai pensé que ça t’aiderait.

Avec un sourire, Melvyn se mit à sa tâche. Se concentrer, il lui fallait se concentrer ! Les regards de ses compagnons pesaient sur lui, il en avait conscience ; c’était chez lui que les problèmes survenaient, sa faute s’ils accusaient un retard dans la production… Personne ne lui avait jamais adressé de reproche, on lui parlait gentiment et on l’encourageait, mais une maladresse restait une maladresse.

Aujourd’hui, il n’y en aura pas !

Melvyn attrapa les deux premiers morceaux du robot et les emboîta. Jusque-là, c’était facile. Il aperçut ensuite Elwing, assis en face de lui, qui s’apprêtait à encastrer l’une de ses pièces dans le mauvais sens.

— Attention, le prévint-il, tu la mets à l’envers.

L’elfe arrêta aussitôt son geste.

— Oh, oui. Tu as l’œil, Melvyn. Tu évites souvent des complications à l’un d’entre nous. C’est à se demander pourquoi tu te trompes toi-même !

— Je dois être maudit.

Fëus lui administra un léger coup de coude.

— Ne sois pas pessimiste. Tu es juste plus doué pour la théorie que pour la pratique.

Une grimace échappa à Melvyn.

— Je suis quand même censé fabriquer les jouets.

Melvyn se recentra sur sa tâche. Durant tout un temps, ça lui réussit ; puis il y eut un « crac » et son robot se fendit en deux. Les elfes partageant sa table se figèrent, avant de tourner la tête dans sa direction.

Pourquoi est-ce que je rate ce que j’entreprends ?

Melvyn n’était pas loin de pleurer.

— Eh, ce n’est pas grave, tenta Fëus.

— Si…

Des elfes plus éloignés se levèrent dans l’idée de venir voir la catastrophe ; s’il l’avait pu, Melvyn se serait caché… Les paroles de réconfort ne manquèrent pas, mais elles ne lui parvinrent pas aux oreilles : l’entièreté de son être se focalisait sur son erreur. Ses mains tremblaient, elles l’empêchaient de commencer un autre jouet.

Fëus lui saisit les poignets et s’adressa à lui de sa voix la plus douce :

— Laisse, je vais m’occuper de tes robots.

L’intention était bonne, Melvyn le savait. Néanmoins, elle lui donna envie de pleurer.

Je ne suis pas en mesure de faire ce qu’on attend de moi. Je suis le pire elfe du Pôle Nord ! Je ne comprends pas pourquoi le père Noël me garde à ses côtés.

— Ça va, le rassura Elwing. On se charge de tout.

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Melvyn s’éveilla d’humeur plus combattante que la veille au soir. Cette fois, il allait mettre un terme à ses peurs ! Aucun impair n’aurait lieu, il s’en faisait le serment.

Je suis un elfe. Les jouets, ça me connaît !

Mais dans l’atelier, la confiance de Melvyn s’évanouit… Était-ce une impression ou l’observait-on s’avancer vers son plan de travail ? Et imaginait-il les murmures sur son passage ? Tout en inspirant, Melvyn prit sur lui. Il n’était pas seul ; déjà, Fëus lui adressait une expression encourageante.

La liste des fabrications lui apprit que les ours en peluche étaient à l’honneur ce jour et une pointe de soulagement le gagna. Il n’était certes pas moins susceptible de commettre une bêtise avec eux, cependant, les tenir contre lui quand ils les avaient terminés se révélait réconfortant : leur sourire brodé lui affirmait qu’ils étaient contents même s’il leur avait cousu un bras plus bas que le second ou s’il leur manquait une oreille. Melvyn avait d’ailleurs gardé les ours qu’il avait mal assemblés.

Il s’installa, sentit de nouveau les œillades de ses compagnons. Un frisson secoua son corps. Et s’il réalisait la bévue de trop ? Raconterait-on le reste de ses échecs ensuite ? Le père Noël viendrait-il le prier de ne plus se rendre à l’atelier ? L’hypothèse l’effraya tant qu’il manqua de tomber de sa chaise !

— Ça va ? le questionna Fëus.

— Oui, j’ai glissé.

Melvyn attrapa une patte d’ours, puis la remplit afin de lui donner forme. Appliqué, il mit toute son âme dans la tâche ; toutefois, la pression des regards revint peu à peu le hanter. Elle l’oppressait tant qu’il ne pouvait l’oublier ! Et ce qui devait arriver arriva… Un craquement retentit : Melvyn avait trop bourré la peluche, la couture n’avait pas tenu.

Non…

Il releva la tête, croisa l’expression attristée de Fëus.

— Je suis désolé.

Melvyn s’enfuit aussitôt. Le courage d’affronter la pitié des elfes lui manquait.

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Stupide, il était stupide ! Melvyn se maudissait. Oh, pourquoi s’était-il précipité au fond de l’atelier ? Pourquoi, alors qu’il lui suffisait de courir vers la sortie et de rentrer chez lui ? Désormais coincé dans la remise, il n’osait plus la quitter – pas tant que ses camarades n’avaient pas fini leur journée !

La honte qu’il éprouvait ne possédait pas de limite. Un elfe incapable d’effectuer son métier… C’était si risible ! Une première larme coula sur sa joue, suivie d’une autre et encore d’une autre. Melvyn cacha son visage dans ses paumes.

Je ne suis qu’un incompétent. Je n’y parviendrai jamais et resterai un bon à rien.

Un grincement effleura ses tympans ; la porte de la remise ! Melvyn se recroquevilla dans son coin et pria pour que l’intrus ne remarque pas sa présence. Parler n’était pas ce dont il avait envie, surtout à l’instant. Les vaines paroles de réconfort ne le réchauffaient plus.

— Melvyn ? Tu es là ?

Un hoquet lui échappa. Cette voix… Il la connaissait !

— Père Noël ? souffla-t-il avec timidité.

— Aaaah. J’étais certain de te trouver ici.

Vêtu de son éternel habit rouge, le grand patron le rejoignit pas à pas dans le fond de la remise, puis prit place à ses côtés.

— Eh bien ? J’ai cru comprendre que cela n’allait pas trop à l’atelier…

Les doigts de Melvyn s’entortillèrent entre eux, sa gorge se serra ; il lui fallut plusieurs secondes avant de répondre.

— Ne vous dérangez pas pour moi, vous devriez être en train de vérifier la Liste. Noël se rapproche.

— J’ai toujours du temps à accorder à mes elfes.

Le sourire bienveillant du père Noël se lisait jusque dans ses yeux.

— Je suis désolé, murmura Melvyn.

— De quoi ?

Un poids lui tomba dans l’estomac. Comment évoquer sa maladresse ? Allait-il être renvoyé de l’atelier ?

Non ! Non, non, non.

— Qu’est-ce qui te rend si malheureux ? insista le père Noël

— Je ne suis pas un bon elfe…

— Pas un bon elfe ? Oh oh ! Tu travailles tous les jours, n’as pas une seule fois été en retard et y mets ton cœur. Personne ne s’est plaint de toi, Melvyn !

Personne ?

Melvyn retint ses larmes. Les siens étaient trop gentils avec lui !

— Je ne fais que des bêtises, avoua-t-il.

— Tout le monde en fait, même moi – mais ne le répète pas, mère Noël ne les connaît pas toutes.

— Hier, j’ai cassé un robot et, aujourd’hui, j’ai déchiré un ours en peluche. Dès que j’entreprends quelque chose, je le rate ! Je suis responsable de plus de la moitié des retards dans la production des jouets…

— Je vais te confier un secret. Me promets-tu de le taire ?

Penaud, Melvyn opina.

— Je ne suis pas doué pour confectionner les jouets, moi non plus, déclara le père Noël

— Impossible !

— Et pourquoi donc ?

— Parce… Parce que vous êtes vous !

Un rire franc chatouilla ses tympans.

— Assembler de petites pièces m’est compliqué, expliqua le père Noël. Mes mains sont grosses et empotées. Me glisser dans les cheminées, apporter les cadeaux, conduire le traîneau, voilà qui m’est plus simple. Tu sais, au début de ma carrière, je ne dormais parfois pas de la nuit parce que je recommençais un jouet.

La bouche de Melvyn s’ouvrit.

— Vraiment ? balbutia-t-il.

— Je ne mens jamais.

Ses pupilles étincelèrent. Une partie de la pression ressentie s’envola de ses épaules.

— Merci. Merci d’être venu me dire ça.

— Et si on sortait d’ici, maintenant ? proposa le père Noël.

Les lèvres de Melvyn se pincèrent. Retourner auprès des autres ? Risquer une seconde bêtise ? La gêne le gagnait à cette simple idée.

— Pour quoi te trouves-tu doué ? l’interrogea son idole.

Il réfléchit un instant.

— L’organisation. La vérification des jouets en fin de journée, aussi. Et mes amis me jugent bon observateur : j’empêche souvent des impairs que je commets moi-même.

Le père Noël se lissa la barbe.

— Je vois… Oui, j’ai une idée.

Melvyn se pencha sur le côté. À quoi pensait le grand patron ?

— Puis-je te demander un service, Melvyn ?

— Oui !

— J’ai imaginé de nouveaux concepts. Je les ai tous dessinés, mais j’ai oublié de les classer par thème ; il y en a pour des véhicules, des peluches, des poupées, des figurines, des jeux de société ! Tu veux bien les ranger pendant que j’effectue le tour de l’atelier ?

— Classer vos concepts…

Melvyn n’en revenait pas : le père Noël ne déléguait d’ordinaire pas ce genre de tâche ! L’honneur était immense.

— Tu es d’accord ?

— Oui, avec plaisir.

Son visage s’illumina. Enfin une mission qu’il n’appréhendait pas !

— Merveilleux.

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Le lendemain, Melvyn dirigea ses pas vers l’atelier beaucoup plus serein. Oh ! Sa discussion avec le père Noël lui avait remonté le moral… Organiser ses concepts lui avait rendu le sentiment d’être utile. La honte d’être maladroit ne le taraudait plus autant.

Il franchit ainsi la porte de bonne humeur… avant de se figer. Tous les elfes avaient relevé la tête vers lui, comme s’ils l’attendaient.

Que… ?

— Un problème ? s’enquit-il dans un murmure anxieux.

Fëus se précipita à sa rencontre et la crainte le gagna aussitôt. Il y avait anguille sous roche ; pour que son ami court de la sorte, un grave événement s’était produit.

— Melvyn. Tu es enfin là !

Le sourire dont Fëus le gratifia le rassura. Un peu.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Le père Noël nous a chargés de te transmettre un message dès ton arrivée : tu es convoqué dans son bureau.

Melvyn déglutit. Pourquoi était-il appelé ? Pourquoi, alors que le grand patron lui avait parlé hier ?

— Tu en connais la raison ?

— Non, désolé. Il nous a juste posé des questions à ton sujet et déclaré que c’était une surprise.

— D’accord…

La nausée le tenailla. Avait-il commis une énième erreur ? Pire, une erreur dans l’importante mission même qui lui avait été confiée ?

Pitié, pas ça.

Melvyn atteignit le battant derrière lequel le père Noël l’attendait, y frappa ; une invitation à entrer effleura ses oreilles.

— Bonjour, chuchota-t-il ensuite. Fëus m’a appris que vous désiriez me voir.

— Bonjour, Melvyn. J’ai une proposition à te faire !

— La-laquelle ?

— Tes amis te l’ont peut-être révélé : j’ai discuté avec eux.

Melvyn acquiesça.

— Tu es doué pour l’organisation, ils me l’ont confirmé.

Ses lèvres se pincèrent. Où voulait en venir le père Noël ?

— Vous êtes de plus en plus nombreux à travailler à l’atelier, poursuivit celui-ci, et je n’ai pas toujours le temps de surveiller la production. Le moment de nommer un elfe en chef est donc advenu. Ses tâches seraient de tout contrôler et de vérifier les jouets une fois terminés.

Les yeux de Melvyn s’écarquillèrent. Était-il possible… ?

Le père Noël lui sourit.

— Souhaites-tu devenir mon elfe en chef ?

Des larmes envahirent sa vision. C’était bien trop beau !

— C’est une lourde responsabilité, mais je crois qu’elle te conviendra… Si tu acceptes.

— Oui ! Oh, merci. Merci, père Noël !

Laissant sa joie éclater, Melvyn eut soudain une conviction : désormais, tout se passerait au mieux pour lui.

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Depuis ce jour, Melvyn veille à accomplir sa tâche avec soin. Grâce à lui, les enfants savent avec certitude qu’ils trouveront un cadeau sous le sapin.

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