Dans les bois

Dans les bois

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Dans les bois
© Rose P. Katell (tous droits réservés)

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Dans les bois court un cerf.

Harassé, il galope comme il n’a jamais galopé, puise dans ses dernières réserves. Son poitrail se soulève puis s’abaisse dans un rythme qu’il ne contrôle plus ; ses naseaux s’agitent avec frénésie. Les yeux exorbités, la langue pendante, il se sent à bout.

Derrière lui se trouvent les chiens… Rapides, enragées, ces maudites bêtes le talonnent depuis un moment. Pire encore, elles ne partagent pas sa fatigue. Leurs hurlements l’effraient, ils font grimper la panique dans son cœur à un stade de plus en plus critique. Quant à leurs crocs, ils se sont déjà plantés dans sa chair à de multiples reprises.

Le cerf n’est pas idiot : grâce aux cris et aux sifflements, il sait que les bipèdes les suivent, tous prêts à lui tomber dessus armés de leur engin de mort ! Et ils y arriveront, c’est dorénavant une certitude. Le moindre chemin, le moindre ruisseau et le moindre coin de ces bois ont beau lui être familiers, il ne peut espérer les semer, l’épuisement le tuerait tout autant.

Oui, son existence touche à sa fin. Affronter ses poursuivants lui est impossible, il n’est pas assez fort.

Seul un protecteur pourrait lui venir en aide.

Ainsi, lorsqu’un chien le mord à nouveau, le cerf s’écroule. Brisé, abattu, il n’a pas le courage de se relever… Les chiens l’encerclent, le clapent à tour de rôle, mais lui n’escompte plus qu’une chose : que la détonation salvatrice survienne.

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Dans les bois court un loup.

Blessé, il fuit droit devant lui, fonce avec l’énergie du désespoir. Ses pattes sont douloureuses et affaiblies par les morsures ; ses oreilles restent rabattues en arrière. De l’écume aux babines, la gorge mutilée, il ne bénéficie plus des effets de l’adrénaline.

Dans son dos le talonne son ancienne meute… Encouragés par leur nombre, rendus ivres par l’odeur du sang, ses membres se sont jeté sur lui sitôt la louve qui le protégeait tuée – le chasser n’était hélas pas une option suffisante. Leurs grognements résonnent dans son crâne, ils lui interdisent de réfléchir. Le son de leurs griffes raclant le sol le terrorise.

Le loup n’est pas dupe : vu la quantité d’adversaires à ses trousses, il ne s’en sortira pas. Sa mise à mort est proche, c’est une évidence. Même s’il est endurant et s’est battu tel un diable, il n’est pas en mesure d’échapper à la meute, persister à s’enfuir est aussi instinctif que vain.

Oui, il est fichu. En dehors du territoire qu’il a occupé jusque-là, il ne connaît rien de ces bois.

Seul un guide pourrait lui venir en aide.

Quand il trébuche et s’étale dans l’humus, le loup ne se redresse pas. Faible, à l’agonie, il se laisse rattraper… Les autres loups hurlent, encouragent l’alpha à l’achever, mais il ne les entend plus : il se languit de sa délivrance.

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Dans les bois s’éveille un cerf.

Toujours lui et pourtant différent, il ne se souvient d’abord que du terrible bruit qui a précédé son inévitable trépas… Puis la mémoire lui revient, fait renaître sa peur, le désoriente. De mouvement désordonné en mouvement désordonné, il réalise enfin que les cris et aboiements se sont tus. Et pour cause ! Les chiens et les bipèdes ont disparu.

Son corps également.

De lui, il ne reste que sa silhouette, désormais éthérée ; une nouvelle apparence qu’il doit apprivoiser et maîtriser. Cependant, il ne s’y emploiera pas tout de suite, non. Un événement plus important l’attend, il le perçoit en son sein. Une force l’appelle, elle l’attire à lui.

Le cerf se met en route. Son pas est hésitant, un peu gauche, mais il ne ralentit pas – il n’y songe pas le moins du monde. Il lui faut rejoindre… ce qu’il a à rejoindre, quoi qu’il soit. L’attraction qu’il éprouve est puissante. Elle en devient un but.

Un but qu’il atteindra.

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Dans les bois s’éveille un loup.

Encore lui-même et malgré tout changé, il se rappelle en premier lieu du coup fatal porté à sa gorge… Son esprit revit ensuite le combat qu’il a mené, sa fuite vaine, son angoisse. Sur ses gardes, il finit par prendre conscience de sa solitude. Le calme est revenu ! La meute n’est plus dans les environs.

Sa dépouille non plus.

De lui, il ne subsiste que sa forme, vaporeuse, translucide ; une « peau » neuve à laquelle il va lui falloir s’initier, s’habituer. Néanmoins, l’heure n’est pas à l’adaptation, non. Un point plus capital demande à être traité, tout son être en vibre. Une pulsion le remue, elle lui dicte sa conduite.

Le loup commence sa progression. Ses pattes tremblent, rendent sa démarche maladroite, toutefois il ne s’accorde pas de pause – l’idée ne le traverse pas, en vérité. Il a besoin de trouver… il ignore quoi, hélas. L’influence qui pèse sur lui est redoutable. Elle se transforme en objectif.

Un objectif qu’il gagnera.

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Dans les bois se rencontrent un cerf et un loup.

Habitués à la loi de la nature, à leur relation de proie et de prédateur, ils se jaugent avec méfiance. Leurs sens sont aux aguets, la situation les méduse ; mais leur instinct, lui, est formel. Ce qu’ils cherchent depuis leur réveil est en face d’eux… Oui, un lien les relie, c’est manifeste.

De longues secondes s’écoulent, silencieuses. Puis le loup s’incline, comme pour prouver sa bonne foi, comme pour indiquer qu’ils ressentent la même chose. Confiant malgré lui, le cerf l’imite.

Et lorsqu’ils se présentent, tous deux parviennent à se comprendre et découvrent ensemble l’évidence.

— Guide, dit l’un.

— Protecteur, répond l’autre.

Un échange de regard plus tard, ils sont prêts à remplir leur mission. Leur destinée.

Complices, fiers de pouvoir veiller sur les habitants des lieux, ils débutent leur première ronde côte à côte.

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