Notre lien à la nature

Notre lien à la nature

Interview avec Charlène Lefèvre

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Malmenée, la nature est au cœur des débats sur l’écologie ; nous avons encore trop souvent tendance à nous croire au-dessus d’elle, comme si nous n’étions pas partie intégrante d’elle-même. Pire, l’activité humaine détruit sa faune et sa flore depuis de nombreuses années.

Avec mon métier d’autrice, il m’importe de rendre hommage à cette inépuisable source d’émerveillement. De prouver, aussi (sous une généreuse couche d’imaginaire), combien nous avons besoin d’elle et à quel point nous y sommes liés, voire de montrer des possibles meilleurs où elle est reine.

Dans cet article, je traite le sujet avec une collègue qui, non seulement le connaît sur le bout des doigts, mais le met au cœur de chacun de ses récits : Charlène Lefèvre !

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Bonjour, Charlène !
Peux-tu nous parler de toi et de ton parcours en quelques mots ?

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Bonjour Rose ! Avec plaisir !

J’ai 35 ans, je suis astrophysicienne de formation mais littéraire dans l’âme, et émerveillée depuis toujours par la grandeur de la nature et la beauté du monde.

Il y a trois ans, j’ai décidé de ne plus choisir entre littérature et sciences et je me suis formée à la correction. Je jongle maintenant entre mes trois métiers : ingénieure, correctrice et autrice.

J’ai choisi de vivre près des montagnes pour rester proche de la nature et de la forêt dans mon quotidien.

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Le thème de la nature, qu’on retrouve tout au long de Lame de la Forêt – ton premier roman – est essentiel à tes yeux, ça se ressent à la lecture.
Comme moi qui, par le biais de nouvelles telles que Le banc, Syrine et Laria et Dans les bois ou d’œuvres plus longues comme Les Enfants de la Déesse et Au temps où les fées dansaient, je sens que tu souhaites le mettre à l’honneur.
Tu vas même encore plus loin, puisque tu personnifies cette nature – en particulier sa flore dans ton premier livre. Pourquoi cette approche ?

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Je suis quelqu’un qui ressent beaucoup d’empathie et elle s’étend à la nature et à tous les êtres vivants.

J’avais envie de mettre en valeur la végétation et de projeter le lecteur dans la tête et les sensations d’une espèce pour qui elle compterait plus que tout. Tout part de la question : « et si la nature valait autant que, pour nous, la vie humaine ? » Ça paraît impossible aujourd’hui, mais ça montre à quel point nous nous en sommes déconnectés au fur et à mesure du temps.

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Raconte-nous…
Quels sont les trois clichés, pensées ou fausses idées sur la faune et la flore que tu ne supportes plus et tiens absolument à contrecarrer dans tes écrits ?

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— Je ne supporte plus l’idée que la faune et la flore ne sont pas sensibles.
Elles sont différentes de nous, bien évidemment. Mais même les plantes communiquent et réagissent à certains stimuli. C’est nous qui décidons que ces réactions valent moins que les nôtres, mais la vie s’exprime de bien des formes et toutes méritent d’être respectées.

— Pour cette même raison, dans mes récits vous ne trouverez pas une nature que l’on peut domestiquer, juste au service de l’humain.
Je crois en l’harmonie pour construire sur le long terme. Appauvrir les sols, ne plus conserver de vieux arbres ou miser sur les monocultures a aussi des conséquences pour nous ! La domination ne mène nulle part…

— Enfin, je ne supporte plus la notion d’espèce nuisible. On ne peut pas juste en supprimer une parce qu’elle nous dérange, sans conséquence sur tout le vivant.
La notion d’équilibre est très importante et c’est ce que j’essaye de transmettre dans mes récits.

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Toujours dans l’idée de mettre la nature, ses merveilles et ses bienfaits en avant, peux-tu maintenant nous citer trois livres ou auteurs/autrices à découvrir absolument ?

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Côté français, il y a bien sûr tes romans et tes nouvelles, dont je suis sincèrement fan. Mais aussi Léa Silhol avec Sous le Lierre, qui signe un livre plus sauvage où forêt et nature intérieure résonnent, couronné par une plume magnifique.

Côté international, Richard Powers m’a beaucoup inspirée, avec L’Arbre-Monde, pour sa fresque de récits entremêlés qui accompagne la prise de conscience sur le rôle des arbres. L’une de ses citations ouvre même mon livre ! Je recommande également Becky Chambers et en particulier Apprendre si par bonheur, où l’on découvre plusieurs planètes susceptibles d’abriter la vie. C’est un très beau récit où l’on peut s’émerveiller et s’imaginer toute la diversité de la vie sur d’autres mondes, mais où l’on ne peut rien exploiter.

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Comme dit plus haut, Lame de la forêt, ton premier ouvrage, traite surtout de l’aspect végétal de la nature. Mais je crois savoir que tu as dans tes tiroirs une future sortie plus axée sur la faune…
Acceptes-tu de nous en dire plus à ce sujet, sur l’angle par lequel tu as décidé d’aborder ce thème ?

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Bien sûr !

Mon prochain roman, Les Engendrés, est cette fois axé sur le traitement des animaux, leur utilisation et la dépendance affective créée pour obtenir leur coopération.

J’ai choisi de sortir des classiques en écrivant un roman choral avec trois points de vue, dont l’un est celui d’une baleine, qui a été engendrée. J’avais envie de proposer un récit avec un animal, moins proche de nous, qu’on n’hésiterait pas à utiliser à nos fins dans le contexte extrême où se retrouvent mes personnages. Les rôles vont être renversés, car leur survie va dépendre de cette baleine. Tout ne va pas se passer comme prévu, et on va découvrir qu’il y a une prise de conscience nécessaire et un prix à payer quand on exploite les animaux.

Mais je vous laisserai découvrir lequel. La sortie est prévue en fin d’année.

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En littérature, comme je l’ai d’ailleurs fait avec Pour un arbre, il n’est pas rare de voir la nature et l’humanité s’opposer, plus ou moins violemment. Toutefois, il est aussi possible d’aborder les choses sous un autre angle, plus optimiste.
Lame de la forêt est un roman qui joue à merveille sur ces deux angles. Est-ce un choix qui s’est imposé à toi ? Était-il même conscient ?
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Merci pour cette question qui est centrale dans mon histoire.

Je ne voulais pas du tout me positionner comme Avatar ou Thiziri, par exemple. L’histoire se passe sur Terre, mais le peuple de l’almona n’est pas un envahisseur. Il agit surtout en réaction à ce que les humains leur imposent, comme les arbres qui s’adaptent aux attaques des chenilles en émettant des toxines dans leurs feuilles.

C’est à cause des humains que mon peuple a, entre autres, évolué pour posséder une lame et qu’on commence le récit dans une posture plutôt défensive. Mais le double jeu sur mon titre (Lame/L’âme) prend tout son sens au fur et à mesure du récit, car une autre voie est possible, par l’entraide.

Encore faut-il que les humains le veuillent.

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Tes ouvrages, précisons-le, prennent place dans des univers très orientés science-fiction.
Moi qui adore l’imaginaire, je suis donc très curieuse… Ce genre t’apporte-t-il quelque chose en plus ? Te permet-il d’approfondir tes réflexions sur notre rapport à la faune et à la flore ?

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Pour moi, ce genre me permet avant tout d’imaginer la vie au-delà de la Terre. Comme les humains ne sont pas si exceptionnels par rapport aux autres espèces, la Terre ne l’est pas non plus. Elle est précieuse, irremplaçable pour nous, mais j’aime imaginer la vie et la nature de façon encore plus globale. Ça ouvre une page blanche où l’on peut choisir ce qu’être humain veut dire et construire des décors magnifiques (ou hostiles) propices à l’émerveillement.

Je pense que cette distanciation et ces contrastes sont parfois nécessaires pour se rendre compte de notre chance !

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Charlène, merci d’avoir accordé ton temps à une petite interview sur un si vaste sujet !
On peut retrouver Lame de la forêt en librairie sur commande et sur ton site : ici

Quant à nous, on se retrouvera, c’est promis, dans une prochaine interview !
Dites-moi dans les commentaires qui vous aimeriez me voir interroger.

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